S’appuyer sur ce rapport pour réduire encore les tarifs des actes de biologie médicale sous prétexte d’économies – alors même qu’elle ne représente que 1,50 € pour chaque 100 € remboursés par l’Assurance Maladie (moins de 2 % des dépenses de santé, part en baisse constante) – conduit à un risque majeur pour la population : ruptures de parcours de soins, retards diagnostiques et, demain, de véritables scandales sanitaires. C’est une bombe à retardement que l’État est en train d’amorcer.
Plusieurs menaces majeures pour notre pays :
- Démantèlement du maillage territorial : en fragilisant les laboratoires de proximité, c’est l’accès aux soins qui est menacé, notamment dans les zones déjà sous-dotées, qui supportent des baisses de volume et des coûts logistiques importants.
- Allongement des délais de rendu : tension sur les ressources humaines, concentration des plateaux techniques, allongement du transport des échantillons, multiplication des étapes logistiques… Cela impacte les autres acteurs dans la prise de décision médicale, avec perte de chance, risque de rupture de parcours pour les patients et un effet boomerang avec des surcoûts associés.
- Sous-investissement chronique : faute d’investissements pour maintenir des plateaux techniques modernes, la France prendrait un retard irréversible en matière de recherche, d’innovations diagnostiques et numériques — pourtant sources d’économies structurelles à court, moyen et long terme.
- Perte de souveraineté sanitaire en matière de diagnostic biologique : ce choix relèverait d’une imprudence, particulièrement à l’heure où les tensions internationales s’exacerbent, et à la lumière des leçons tirées de la récente crise du Covid.
Les pouvoirs publics ne peuvent ignorer les enseignements du passé et nous ne pourrons pas, demain, réinvestir en urgence pour reconstituer un dispositif de diagnostic efficient, alors que la France est en voie de rattraper le retard accumulé dans plusieurs domaines du diagnostic.
Un rapport IGAS dangereusement orienté
Partant de certains constats économiques, et sur la base de chiffres ne prenant pas en compte les dernières baisses colossales de tarifs subies en 2024, ce rapport multiplie les contresens. Il attribue aux biologistes médicaux en ville et à l’hôpital la responsabilité d’enjeux systémiques – incapacité à faire de la prévention, à maîtriser le volume des actes, à innover – alors qu’ils ne sont pas décideurs. Pire, leurs propositions pour avancer sur ces thématiques n’ont jamais été mises en œuvre, et auraient permis des économies depuis plusieurs années ! C’est pourtant sur eux que l’IGAS choisit de frapper, dans une logique purement punitive.
Une profession qui tient bon malgré les coups. Ce que l’IGAS refuse de reconnaître, c’est que les biologistes médicaux ont déjà consenti des sacrifices uniques dans le système de santé. D’après ce même rapport, les revenus des biologistes ont chuté de 30 % ces dernières années, et sont en dessous de ceux des autres spécialités médicales en 2023. De plus, les dépenses de biologie sont maîtrisées depuis plus d’une décennie, ce qui en fait une exception.
Et malgré cela, la profession est restée mobilisée. Elle assure une offre de soins de qualité et de proximité sur tout le territoire, avec 500 000 patients accueillis chaque jour en ville, en maintenant une exigence de qualité unique au monde : 100 % des laboratoires sont accrédités selon la norme internationale ISO 15189, garantie d’un niveau d’excellence et de sécurité inégalés.
Et lorsque la crise sanitaire du Covid-19 a frappé, la mobilisation en première ligne des biologistes médicaux a été exemplaire. Alors que la France n’était pas prête pour le dépistage massif, les biologistes libéraux ont mis en place un dispositif inédit en quelques semaines. Alors que les infirmiers, médecins ou pharmaciens d’officine, eux aussi très mobilisés, ont été remerciés publiquement, nous, biologistes libéraux, n’avons récolté à l’issue de cette crise que du mépris et des accusations d’être des profiteurs de crise. Ce rapport s’inscrit dans cette logique insupportable.
Une prévention sabotée. L’IGAS va jusqu’à nier la contribution majeure des biologistes à la prévention. Cela fait des années que la profession propose ses services pour participer activement aux missions de prévention. Lors des derniers protocoles signés avec la CNAM, la profession a réussi à arracher tant bien que mal certaines missions de prévention (dépistage du cancer colorectal, cystite, bilans de prévention, vaccination, VIH). Or, seul le dispositif « Au labo sans ordo » est réellement entré dans les faits et constitue un succès : 841 000 tests VIH réalisés en 2023, soit 15 % de toutes les sérologies VIH, avec une progression de 18 % en 2024.
Refuser d’élargir leurs compétences est un non-sens, alors même que 10 000 biologistes médicaux et 70 000 personnels de santé sont disponibles en ville et à l’hôpital pour répondre aux besoins croissants de santé publique.
En facilitant l’accès direct aux laboratoires, ces dispositifs de prévention répondent à un enjeu majeur de santé publique, notamment pour les populations éloignées du système de soins, et ont démontré la pertinence des biologistes dans ces missions, alors que les pathologies chroniques augmentent.
Une folie d’État. Ce rapport entérine une stratégie incompréhensible : continuer à fragiliser une profession pourtant modernisée, efficiente, hautement qualifiée et solidement implantée sur l’ensemble du territoire. Nous sommes médecins et pharmaciens spécialistes, et nous investissons lourdement pour innover et garantir une offre de biologie médicale performante.
Plutôt que de s’appuyer sur ces forces volontaires et suivre leurs recommandations pour améliorer l’efficience du système et réaliser des économies, on s’apprêterait à saborder ce socle essentiel de notre système de santé ?
Pour quelles raisons ? Un excès supposé de rentabilité : 13,9 % en 2023 au lieu du seuil de 10 % érigé comme référence. Premièrement, ce chiffre de 13,9 % ne prend pas en compte les baisses de tarifs intervenues en 2024, qui se montent à près de 10 %. Deuxièmement, qui fixe ce seuil, sur quels critères, et avec quelle prise en compte de la réalité de nos investissements ? Intègre-t-on les besoins massifs de financement indispensables au maintien de plateaux techniques à la pointe, sans lesquels aucune politique de santé ne peut tenir ?
Détruire tout un secteur pour obtenir des économies purement conjoncturelles est irresponsable : c’est un acte suicidaire pour l’avenir d’un système de santé déjà fragilisé. Les économies immédiates réalisées seront bien inférieures au coût humain et financier du recul de la qualité des soins, des retards de diagnostic ou de la perte de souveraineté.
Si l’État souhaite réaliser des économies à court et long terme, il doit rendre nos missions effectives dans la prévention : vaccination dès l’automne, maladies rénales et cardiovasculaires, diabète, cystite, cancers (col de l’utérus, colorectal...). Nous, biologistes médicaux, continuerons de défendre notre rôle, notre engagement et l’intérêt des patients. Nous sommes à la disposition de toute partie prenante désireuse de construire l’avenir, en commençant par le début : comprendre le rôle médical des biologistes, de leurs équipes et de leurs laboratoires dans la chaîne de soins au quotidien.